Résidence de Gaspar Willmann à Pékin
Exposition de Gaspar Willmann, lauréat du Prix Yishu 8 France 2023, à la Maison des arts de Pékin.
Les Miscellanées de Pékin
Au musée du Prado, une œuvre de Goya intitulée « El perro semihundido », fascine le jeune artiste français Gaspar Willmann. L’ambiguïté spatiale de ce tableau crée une tension d’ordre métaphysique qui résonne avec ses propres recherches. Car personne ne peut affirmer si le petit chien peint par Goya se laisse engloutir ou au contraire s’il est en train de se hisser hors de la masse oppressante qui l’entoure. Cette tension entre submersion et émergence, sous-tend la pensée du lauréat du prix Yishu8. Regarder, poser son regard et faire émerger un réel singulier, est-ce encore possible aujourd’hui à l’heure où nous nous laissons submergés par toutes sortes d’images qui circulent sur nos écrans ? Le regard humain qui autrefois s’arrêtait sur des visages, des paysages, des détails signifiants, se nourrit aujourd’hui d’images digitales sans source, ni véracité, confirmant la citation de Feuerbach : « Et sans doute notre temps (...) préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être … ». (L’essence du Christianisme, 1841) Faire émerger de cette masse d’images que nous consommons à chaque instant sur nos écrans, une image qui nous arrête en nous questionnant, et par là même fait office de peinture, tel est le défi de l’artiste. Gaspar est arrivé à Pékin en octobre 2024 pour une résidence de deux mois à Yishu 8. Il a apporté avec lui, son regard clair et vorace, ses interrogations et… son protocole de peinture. Car Gaspar est un homme qui interroge son époque sans manichéisme, il peint aussi bien avec une souris d’ordinateur qu’avec un pinceau. A Pékin, il a pris des photos des arbres, des petits chiens et des hutongs, et les a fait entrer dans sa banque de données visuelles où d’autres images se bousculent en attendant d’être convoquées par l’artiste. A travers ce déplacement culturel qui n’a rien d’un exotisme, le temps s’est densifié. Tel un herboriste, l’artiste a collé quelques feuilles de Qinkgo biloba sur une page de papier blanc, et la nature si frêle, si délicate est entrée dans l’atelier.
Puis, progressivement, méthodiquement, est venu le moment de la peinture. Avec un pinceau numérique Gaspar a transformé les images qu’il a lui-même photographiées ou puisées sur le net, il les a colorisées, liquéfiées et imposé sur elles une sorte de filtre qui fait sa signature. Après avoir imprimé son image sur le châssis qu’il a préparé, Gaspar opère un geste qui tient du miracle, il convertit le digital en peinture. Le peintre joue à nous désorienter, en peignant avec un « vrai pinceau » cette fois-ci et directement sur la toile. Apparaissent alors des paysages cryptés, sortes de labyrinthes sans issue, dans lesquels l’œil jubile sans se reposer. La peinture de Gaspar Willmann, car c’est bien de peinture qu’il s’agit, joue alors pleinement son rôle : pause silencieuse et énigmatique sur l’accélération d’un monde virtualisé. Christine Cayol
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