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L'atelier de Dong

Le 15 décembre 2019, Yishu 8 réunissait chez moi ses amis pour un goûter de Noël et leur faisait découvrir les oeuvres de Liu Xiaodong, un jeune artiste chinois, récemment diplômé de l'Ecole des Beaux arts de Paris.

Notre cher Henry-Claude, président de l'association Yishu 8, nous a parlé du travail de ce talentueux peintre.


Dong est un peintre qui s’intéresse autant à la peinture qu’à son histoire. Pour lui peindre ne veut pas seulement dire de recourir aux techniques usuelles de la peinture, celles des pinceaux et des couleurs, mais d’utiliser aussi les ressources du vaste savoir qu’elle engendre au jour le jour. Pour lui peindre c’est jouer des rencontres entre pratique et connaissance, empirisme et culture.

Comme tout artiste lettré chinois, Dong a ouvert bien des livres, a lu bien des textes, regardé bien des images. Et comme tout lettré informé et savant qu’il est, il en a retiré des réflexions à la fois pratiques et subtiles. Il aime ainsi à citer, à parodier, à gloser, voire à imiter, selon la longue tradition dont il est issu. Mais non pas comme on le croit d’ordinaire, pour répéter un modèle, pour tirer parti d’une recette éprouvée, pour faire croire à je ne sais quel défi de supériorité, mais tout au contraire, découvrir, approcher un secret. Le sien, il l’exprime dans une belle formule à la consonance littéraire : « l’Histoire est comme un tapis ». Autrement dit un chemin au long duquel on peut marcher, au cours duquel la découverte est de mise, un espace avec des paysages et des aperçus imprévus mais révélateurs d’une dimension encore ignorée des choses, où le regard n’est plus absorbé dans une réalité qui le dépasse et l’engloutit, mais impliqué dans une distance qui lui fait comprendre des mécanismes oubliés, lui fait percevoir des détails imperceptibles, peut-être des réalités invisibles à l’œil ordinaire. Il voit, comme il le dit ailleurs, « le principe de transformation du passé en un processus d’évolution ».



« Chez Tante Martine », Dong nous montre une série de travaux exemplaires de cette attitude. Il a longuement observé les maîtres de l’abstraction américaine, en particulier, dans sa phase expressionniste, Mark Rothko, ou le Color field avec Elsworth Kelly et Raymond Parker. Et au prétexte de leur rendre « Hommage » (tel est le titre de la série), il les prend, non sans un audacieux humour, au piège, si l’on ose dire, de leur contribution majeure à l’histoire de l’art. L’interprétation picturale qu’il en donne prend littéralement à rebours ce qui fait la marque de leur génie. Quand on regarde de loin les peintures de Dong, on croit voire une série de petites reproductions peintes des chef-d’œuvre de Rothko, selon un principe de variations chromatiques étourdissantes. De près, on est tout simplement en face de plats et de tranches de livres, mais délicatement colorés, dans la plus pure tradition savante de l’illusionnisme. Devant les sublimes champs chromatiques de Rothko, dans lesquels le peintre américain voulait que le regard du spectateur se perde, Dong force en quelque sorte ce dernier à garder son sang froid et rester à distance. Et comme dans la tradition classique de la peinture chinoise on découvre alors une toute autre réalité. De même des géométries colorées de Kelly, soudain transformées en joyeuses et roboratives palettes de couleurs.




"La déconstruction garde néanmoins un air moins radical et pourrait-on dire plus affectueux : le châssis reste aussi accueillant à ses tableaux que le tableau à ses images, jouant soudainement le rôle bienveillant de chevalet improvisé."



Mais Dong poursuit sa vision ironique plus loin encore. Passe que son regard moqueur s’attache à nous dévoiler les subterfuges de la face noble du tableau. Mais voilà qu’il s’attaque aussi à l’envers du décor, et que le châssis fait au même titre, les frais de son œil impitoyable. Il aura vu les travaux d’un Claude Rutault, certainement, peut-être le fameux autoportrait de Poussin ? Avec lui la déconstruction garde néanmoins un air moins radical et pourrait-on dire plus affectueux : le châssis reste aussi accueillant à ses tableaux que le tableau à ses images, jouant soudainement le rôle bienveillant de chevalet improvisé.

Il reste que, au-delà de toute cette virtuosité picturale, Dong nous entraîne dans le silence de son atelier, dans l’intimité de son regard, dans sa rêverie colorée, qu’on le devine penché sur son chevalet, et que le poète qu’il est nous promet une voyage toujours émerveillé au pays des images de la peinture.

Henry-Claude Cousseau


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